ENTRETIEN AVEC….ABDOULAYE WADE, ANCIEN CHEF DE L’ETAT : «JE N’ABANDONNE PAS LE COMBAT»


Qu’est-ce-que vous ressentez en décrochant ce prix de leadership africain ? 

(Rires). Ça me fait, bien sûr, beaucoup plaisir parce que ce prix a été une surprise pour moi. Je ne m’y at­tendais pas du tout avant que Souleymane Anta Ndiaye (responsable du Fora) ne m’en parle. Je suis heureux que des intellectuels d’Afri­qu­e et de la Diaspora aient pensé que je représente le militantisme panafricain. C’est cela qui est important. C’est un prix de reconnaissance au terme de mon mandat à la tête du Sénégal alors que je suis en état de réflexion pendant plusieurs mois sur les différents actes de mes actions futures. Je n’abandonne pas le combat. Et je n’abandonne jamais. Pour moi, c’est un relais important parce que je n’en attendais pas moins des cadres africains, qui malheureusement, ont perdu cette combativité organisée depuis très longtemps. Nous, étudiants, étions plus combattifs que vous il y a quarante ans. 

Vous êtes distingué comme un leader africain au moment où le Continent est déchiré par plusieurs conflits comme au Mali. Que pensez-vous de cette situation ? 

Ça fait mal pour un panafricaniste de voir un pays se déchirer avec des velléités centrifuges, des gens qui prônent la séparation. Cela fait bien sûr mal. L’essentiel, cependant, reste la constance de la volonté de rester ensemble, unis par une solidarité fondamentale avec l’effort de la Diaspora pour construire les Etats-Unis d’Afrique. Par exemple, l’Afri­que de l’Ouest est constituée de petits Etats insignifiants. Nous le regrettons. Je fais partie de ceux qui ont combattu la Loi cadre. Mon contentieux historique avec le Parti socialiste est d’avoir balkanisé l’Afrique. Il nous faut sauver donc la paix, réduire le nombre de victimes. Quelle que soit l’issue finale, on devrait se retrouver en tant qu’Afri­cains, entre Etats africains. Construire les Etats-Unis d’Afrique tels que je le pense élimine totalement les velléités de sortir de l’unité pour aller faire autre chose. De la même manière, j’ai fait un projet pour la Cedeao qui doit passer de l’état des communautés africaines en communautés politiques. J’ai fait le projet qui est soutenu par les Pré­si­dents nigérien, malien et ghanéen. Je devais le présenter lors du prochain sommet de la Cedeao qui n’a pas eu lieu. Je suis sûr que le projet aurait été adopté par la Cedeao parce que j’ai réglé les problèmes qui se posaient dans la confection de l’unité de l’Afrique. Ce projet est même valable pour tout le Continent. Je connais les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, je les ai donc éliminées. Il n’y a plus le besoin de dire que celui-là veut prendre le ministère des Finances ou des Affaires étrangères. Il n’y a plus de réticence possible si on applique mon schéma. C’est la raison pour laquelle, mon projet a été adopté à l’unanimité dans le groupe de travail restreint que nous avons eu. 

Apparemment, vous êtes toujours attaché à votre idée de fai­re des Etats africains des entités d’une future confédération ? 

O va y arriver. Le problème était qu’on n’était pas d’accord avec le nombre de ministères. On n’avait même pas osé aborder le problème ou si on devait avoir 12 ou 20 ministères, qui seront les ministres et leurs origines. Maintenant, il n’y a plus de problèmes : chaque Etat a son ministre dans chaque gouvernement. Dans chaque poste ministériel, chaque pays aura son représentant. Mais, les ministres vont élire le président du Con­seil des ministres. L’unanimité se­ra la règle de décision. S’il y a une seule objection, on laisse la décision de côté. 

Vous aviez eu à développer des idées novatrices à l’image du Népad. C’est aujourd’hui qu’on se rend compte de la pertinence de ces idées. 

Je vais vous dire une chose importante : Ils ont contesté le Népad pour des raisons politiques. Nos adversaires ont réussi à nous opposer durement parce que ma présence était gênante. Il faut le dire aussi. J’étais le vice-président du Népad présidé par Obasanjo (ex-président du Nigeria). En clair, si Oba­sanjo se retire je devais donc devenir le président. Il y a eu finalement un tas d’histoires sur ça. Mais, ce n’est pas grave. Finalement, j’ai eu à appliquer le Népad au Sénégal. Et les ré­sultats sont là. C’est normal que j’aie des ennemis. Mais, au moins que je sois défendu par des gens qui sont du même bord que moi. Ce n’est pas toujours le cas. 

Un grand leader africain disait que vous n’avez pas le droit de ne pas vous impliquer dans certains dossiers qui intéressent l’Afrique…
 

Absolument ! Je suis dans les dis­positions sur les grandes questions en donnant seulement mon point de vue. Parce que je ne suis plus dans l’Exécutif. Je continuerai à donner mon point de vue. Je travaillerai avec des organisations, des fora africains qui veulent faire quelque chose. 

On pourrait aussi vous donner un rôle de médiateur sur les grandes crises en Afrique et dans le monde… 
Ban Ki Moon (Sg de l’Onu) me l’avait proposé. Si on fait appel à moi, je verrai dans chaque cas. Parce que mon grand défaut, c’est que je sais ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire. Quand je ne peux pas faire, je dis que je ne peux pas. Et dans ce domaine, on ne va pas récolter la gloire mais des désagréments. Si Koffi Annan n’a pas réussi en Syrie, je ne dis pas que je réussirai. Je pense que les problèmes sont mal abordés parce qu’on ne peut pas aborder les réalités qui sont derrière les problèmes. On agit superficiellement en demandant à Bachar Al Assad de rencontrer l’opposition pour étudier la transition. La question du Mali est aussi très complexe. 
Mais, il faut qu’on entende davantage la voix de l’Afrique et du Sénégal sur tous les grands dossiers de l’heure… 
Il faut dire tout ça aussi aux chefs d’Etat. Ceux qui sont aux affaires doivent se prononcer sur toutes ces questions en ayant une voix et une expression communes. 

J’ai rencontré quelqu’un à qui vous vous êtes présenté comme un ancien chef de l’Etat démocratiquement battu… 
(Hilarité générale). C’est vrai. Ça fait rire mais c’est la vérité. Je suis l’ancien Président, et j’ai été battu 

démocratiquement. Dans une librairie, quelqu’un m’a dit «M. le Président». Je lui ai dit que je ne le suis plus parce que j’ai été battu. C’est un acte de fair-play. Je retourne à mes anciennes amours aux quartiers latins. Je lis beaucoup, j’écris aussi.

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